Mauvaise nouvelle : en 2017, les jouets sont (presque) toujours aussi sexistes

Depuis quelques temps, les grandes enseignes font des efforts pour rendre les fêtes de fin d’années moins stéréotypées pour les enfants et leurs listes au Père Noël. Mais peu aidés par les fabricants et leurs licences hypergenrées, ces distributeurs ne sont toujours pas prêts à opérer un véritable changement…

« Mais non, regarde, c’est là les jouets filles ! Tu ne vois pas le rose ? Il y en a assez pourtant ! » s’exclame une mamy dont le mari semble un peu perdu entre les boîtes Playmobil et les peluches licornes. Dans les magasins, c’est chaque année le même parcours qui se répète pour ces grands-parents aux six petits-enfants : halte au rayon fille « rose, violet et pastel bleu », puis au rayon garçon « bleu foncé, rouge et noir. » La distinction semble exagérée mais elle est pourtant bien réelle : les enfants sont cantonnés à des couleurs, imposés par les distributeurs et les fabricants de jouets.

En 2014, ces pratiques sexistes et stéréotypées avaient attiré l’œil du Sénat. Sa délégation aux femmes présidée par Chantal Jouanno (UDI), avait publié un rapport listant dix recommandations pour lutter contre les stéréotypes.  Parmi elle, la disparition dans les catalogues de Noël des pages “fille” et “garçon”.

Trois ans plus tard, la situation est loin de s’être améliorée si l’on regarde ces catalogues et leurs pages roses et bleues. Et même si les distributeurs se vantent de quelques efforts, des grands fabricants de jouets continuent de marqueter des clichés au nom du profit.

Invention récente

Pourtant, ce markéting genré des jouets est contrairement à ce qu’on pourrait penser, une invention récente. Dans les années 1970, les jouets n’avaient pratiquement aucune mention de genre. La sociologue Elizabeth Sweet qui a étudié les catalogues du magasin Sears sur tout le XXème siècle, a trouvé dans ses recherche qu’« en 1975, très peu de jouets étaient explicitement marquetés selon le genre, près de 70 % ne présentaient d’ailleurs aucune indication fille-garçon, » relate-t-elle dans The New York Times. « Dans les années 1970, les publicités sur les jouets défiaient souvent les stéréotypes de genre. Des filles construisaient et jouaient aux pilotes d’avions et des garçons faisaient la cuisine. » Ce n’est qu’à partir de 1995 que les différences fille-garçon sont revenues en force dans les magasins, les catalogues de jouets et chez les fabricants.

Cher Père Noël, je suis réduite à être une princesse en rose

Alors où en est-on aujourd’hui ? En 2017, un seul catalogue, la grosse enseigne Atac fait clairement une distinction “fille”/”garçon”. Victoire ? Non, car à la place de ces signalétiques, les grandes enseignes jouent avec les mots. Carrefour par exemple, choisit des rubriques qui en reviennent au même avec “les copines magiques” et “les aventuriers extraordinaires”… Et si jamais les parents et les enfants ne comprennent pas à qui sont destinés les jouets, on rajoute une bonne couche de couleur rose et bleue. Leclerc n’est guère plus implicite avec ces “je suis une princesse” et “je suis un héros”…

 

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D’autres la joue plus fine comme La Grande Récré qui classe ses jouets dans des catégories moins stéréotypées avec “comme les grands” où l’on retrouve tous les jeux d’imitation, de la dinette à l’établi de menuisier. Leurs pages “nos moments préférés” est cependant clairement découpés en deux parties, l’une intitulée “poupées et mini-mondes” avec du rose et du violet, l’autre “les héros et les véhicules” cible les garçons aimant visiblement le bleu, le rouge et le gris.

Des bons (et rares) élèves

Mona Zegaï, sociologue et spécialiste des jouets genrés explique que des « efforts plus importants ont quand même été faits par certaines enseignes. » Dans la liste des “bons élèves” on peut ainsi citer les magasins U et JouéClub. Dans leurs pages, des rubriques moins genrées que chez leurs concurrents et surtout, des petits garçons qui jouent à la poupée et des petites filles avec des voitures et des pistolets chasse-fantômes… Des scènes sporadiques mais assez rares pour être soulignées. Système U fait des efforts depuis les années 2012. Le porte-parole de l’entreprise avait déclaré à 60 Millions de consommateurs en 2014 : « Pas question de nous laisser prendre en otages par les tenants d’une ligne plus ferme. »

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Oxybul marque française créée en 1989 est l‘une des rares enseignes à briser les stéréotypes filles-garçons. Que ce soit dans ses catalogues, ses magasins ou les marques avec qui elle travaille, elle s’interdit  de proposer des jouets sexués aux tout-petits jusqu’à trois ans. Au-delà de cet âge, les jeux d’imitation sont très peu genrés et avec des couleurs non connotées.

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Chez Oxybul, une fillette et un garçon et jouent aux bricoleurs avec un établi.

Des jouets en double couleur… pour vendre plus

Si peu d’efforts ont été faits par les distributeurs ce n’est pas uniquement par manque de bonne volonté. Mona Zegaï le rappelle : « Les photos des catalogues de jouets sont choisies par les distributeurs sur tout un ensemble provenant des fabricants. » Les magasins se plient et s’alignent sur les grands manitous que sont les fabricants. Ces marques, bien engagées sur la route de l’hypersexulasation des jouets ne sont pas prêtes de faire marche arrière. Tout simplement parce que ça rapporte gros. « Un vendeur de jouets, son souci c’est de vendre : en dédoublant les jouets, on vend deux fois plus, » explique Isabelle Cabat-Houssais, professeure des écoles à Paris et coauteure de Contre les jouets sexistes paru en 2007. « Si vous avez une fille, vous achetez des choses roses, le garçon n’en voudra pas : vous allez racheter un vélo, des kapla, des lego, » ajoute-t-elle. Et tous les jouets y passent : de la corde à sauter aux trottinettes, en passant par les jeux d’éveils pour bébés.

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Concevoir des jouets en rose pour les filles et en bleu, c’est vendre deux fois plus. Crédit photo : Noémie Tissot

Pour Mona Zegaï, les marques ne répondaient pas à l’origine à une demande du consommateur : « ce sont les fabricants qui ont créé la demande et aujourd’hui, les jouets rose et bleu sont tellement ancrés dans nos esprits que ça va dans les deux sens. »

Le meilleur exemple de ce markéting genré est la marque Lego : elle qui se voulait unisexe il y a trente ans se décline aujourd’hui dans des gammes bien ciblées. Avec Lego Friends, du rose, du violet, loin de l’idéal originel de l’entreprise où chaque enfant, fille ou garçon pouvaient construire et imaginer un monde bien à eux. Les filles le feront aujourd’hui avec des briques roses, et seront cantonnées à des thèmes comme “le restaurant”, “le salon de beauté”. Les garçons auront des briques grises et bleues pour bâtir des grues, un commissariat ou un hélicoptère de secours. On construit le genre, plus des histoires fantastiques.

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Les Licences surpassent les couleurs

Aujourd’hui, un autre élément entre dans l’équation stéréotype/fabricants/distributeurs. Il s’agit des licences. Vous savez ces petits logos Disney, Hello Kitty, Tortue Ninja, Marvel et compagnie ? Ils représentent en moyenne 25 % du marché du jouet, avec une très forte présence sur les catalogues et les magasins de jouets. Ces licences « aggravent le phénomène car elles sont extrêmement marquées et stéréotypées. Elles sont déjà pensées en amont comme adressées soit aux garçons soit aux filles. » La Reine des Neiges est destinée aux filles, Cars aux garçons. Si bien qu’aujourd’hui,  « les licences ont surpassé les couleurs rose/bleu et les types de jouets poupée/voitures, » selon la sociologue.

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Même les jouets “neutres” passe dans le moule, à l’exemple de Monopoly qui a une version “fille/Reine des Neiges” et “garçon/Cars.” Crédit photo : Noémie Tissot

Dans le monde des jouets, l’égalité est donc loin, très loin d’être gagnée…

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